Sacrifices et récompenses

Le portefeuille de l’Investisseur Français retourne une performance de +256,39% depuis le 1er septembre 2011, soit un rendement annualisé supérieur à 40%. Disons les choses comme elles sont : il sera exceptionnellement difficile de maintenir un tel rythme de croissance dans le contexte actuel.

Si parier sur une imminente fin de l’extravagance financière est une spéculation délicate, nous gageons qu’une certaine forme de justice romantique finira inévitablement par reprendre ses droits, et qu’il ne sera plus possible de ainsi continuer à confondre chance et savoir-faire.

Les illusions peuvent être tenaces, les fondamentaux le sont encore davantage — et ce qui ne peut durer doit un jour s’arrêter, c’est la règle.

Call-Option de Croissance

Parmi nos participations, nous sommes toujours aussi fiers et comblés d’être associés au management d’Etam (l’investissement parfait en son temps) avec qui nous avons eu le plaisir d’échanger lors de la dernière assemblée générale.

Les chiffres : une ouverture de magasin en France est généralement rentabilisée en trois ans, tandis que celle d’un corner l’est généralement en un an (soit des ROI respectifs de 33,33% et 100%).

Ces rendements sont démentiels (a fortiori dans une activité de vente au détail), mais la croissance dans le pays où l’avantage compétitif est le plus fort (la France) ne peut être précipitée : le territoire est déjà bien maillé, et le risque de cannibalisation entre boutiques une réalité avec laquelle il faut composer.

Il s’agit donc d’aller chercher la croissance à l’étranger. Or, loin de ses bases, l’entreprise ne bénéficie plus d’un de ses principaux atouts — un coût d’occupation moindre que ses pairs, puisqu’elle détient son immobilier en propre, en plus d’un portefeuille de droits au bail très favorables — et doit supporter une logistique plus contraignante (et plus chère).

Les ROI internationaux ne satisfont pour l’instant personne, mais le management n’a pas joué toutes ses cartes. En Chine, il leur faut une masse de magasins critique pour arriver à maintenir un coût de sourcing acceptable — ils ne peuvent donc y fermer trop d’emplacements s’ils espèrent se retourner un jour.

Nous sommes raisonnablement confiants sur la capacité du business à produire au moins quatre-vingts millions de free cash-flow par an sur la partie France, si par exemple on se contentait de le “traire” (pour parler l’argot du financier), c’est à dire d’en sortir tout le cash et de ne plus rien y investir.

Le management n’annonce pas de ROI cible pour le segment maquillage, lancé depuis peu : si le pari de conquérir un marché adjacent (et en forte croissance) à la lingerie prend bel et bien, la récompense promet d’être substantielle. Bien sûr, le projet peut aussi capoter — avec le retail, on ne sait jamais : tout est dans la discipline et l’expérimentation.

On ne la fait pas à Laurent Milchior (le dirigeant d’Etam). Lucide, il ne promet rien sinon d’être pragmatique et d’apprendre des erreurs qui seront (là aussi inévitablement) commises à un moment où à un autre. Nous apprécions la subtile combinaison d’audace et d’humilité qui anime ce jeune entrepreneur, atypique dans le paysage capitaliste français.

Bref, notre investissement initial (nous avions commencé à construire notre position à dix euros l’action) est passé d’un cas d’école en value investing à une plus intrépide call-option de croissance.

Mesures Radicales

Au sujet d’une autre de nos participations (une petite société industrielle française profitable, nettement moins glamour qu’Etam mais à vendre en bourse pour une fraction de sa valeur liquidative) largement discutée dans le Club ces dernières semaines : si son prix extraordinairement bradé en faisait un investissement intelligent (que nous nous sommes empressés de réaliser), l’historique de l’entreprise révèle que son capital a toujours été employé dans des opérations incapables de générer un ROI satisfaisant (loin, très loin des 33% des magasins Etam).

Bien que la marge de sécurité soit tangible (et garantisse par la même occasion la préservation du principal investi), tant que la dite entreprise continue d’investir dans la même activité difficile et hautement concurrentielle, ses chances d’offrir à ses actionnaires un rendement adéquat à long-terme restent comme elles sont, c’est à dire nulles.

Leur seul espoir de faire une bonne opération (à ceux des actionnaires qui, comme nous, ont acheté nettement sous la valeur liquidative) et que la décote se referme, et qu’ils empochent leur rendement d’escompte… A moins d’un développement spectaculaire — autrement dit, que le management se décide à réallouer les cash-flows dans une autre activité aux perspectives plus réjouissantes.

La probabilité est faible. On le devine bien, une telle décision/transformation impliquerait une complète remise en question du modèle d’affaires, inévitablement assortie d’une série de décisions brutales – par exemple des licenciements massifs, pour réduire les coûts et maximiser le free cash-flow, soit (1) pour le retourner aux propriétaires du business (les actionnaires) et arrêter définitivement l’activité qui ne crée aucune valeur, ou (2) réinvestir ailleurs pour un ROI supérieur.

Peu de dirigeants sont enclins à opter pour d’aussi radicales mesures, la faute aux incentives : tant que l’activité continue, ils sont payés un salaire (généralement confortable). Et puis, personne ne veut souffrir de la mauvaise presse qui en de telles circonstances ne manquerait pas sa chance de battre tribune.

Performance Durable

En la matière, le modèle ultime est (comme souvent dans les affaires entrepreneuriales) Warren Buffett, lorsqu’il eut la lucidité de recycler les cash-flows de l’activité textile de Berkshire Hathaway (alors en déshérence, et sans perspectives d’amélioration) pour les réinvestir dans d’autres activités (acquisitions de compagnies d’assurance, prises de participations dans American Express ou The Washington Post, etc.)

A long terme, les quelques centaines de licenciements et la fermeture de l’usine de New Bedford — des décisions douloureuses — ont formidablement servi les intérêts de la communauté : Berkshire emploie à présent plus de 320,000 employés, quand le capital des actionnaires a lui été multiplié par 20,000.

Voici l’essence du développement durable (le vrai, pas celui du marketing ou des partis politiques) : des intérêts alignés, une rationalité qui prime sur la démagogie, et la stoïque acceptation qu’une récompense demain n’est atteignable qu’au prix de sacrifices aujourd’hui.

Quiconque s’intéresse aux métiers de l’investissement et à l’esthétique de la discipline en tirera les évidentes leçons qui en découlent.

Le rapport de gestion mensuel (et complet) du portefeuille de l’Investisseur Français est disponible ici.

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