Business 101 : Forage en Mer

Les compagnies de forage en mer opèrent des navires et plates-formes qu’elles louent aux producteurs de pétrole et de gaz – par exemple des majors comme Total, Shell ou Chevron.

La proposition de valeur est séduisante : elle permet aux producteurs de transférer le risque d’inactivité et les (prohibitifs) coûts de construction, de personnel et d’entretien des équipements.

Comme lesdits équipements sont largement standardisés (une tendance qui va en s’accentuant), l’industrie du forage est en mer comme sur terre soumise à une intense compétition sur les prix – en plus d’avoir à composer avec une demande naturellement volatile.

S’il est communément admis que l’offre et la demande sont corrélées aux prix du pétrole et du gaz (les investissements d’exploration et de production offshore ne sont pas rentables lorsque les prix sont déprimés), la réalité est en fait un peu plus subtile.

Plutôt que sur les prix, l’offre et la demande sont davantage corrélées aux anticipations sur les prix, ce qui rend la cyclicité ambiguë et les tarifs de location des équipements encore plus difficiles à prévoir !

En effet, lorsque les prix des matières premières sont bas, une major peut continuer de solliciter des compagnies de forage afin de constituer des stocks (une fois la plate-forme en place, le coût marginal par baril est faible) , pour ensuite les écouler lorsque les beaux jours reviendront.

Inversement, lorsque les prix sont élevés, cette même major peut (mais c’est plus rare) reporter ses investissements de production, dans l’anticipation d’une prochaine baisse des prix.

Ces quinze dernières années, l’industrie a toutefois connu un supercycle de croissance : le prix du pétrole explosait et les gisements terrestres s’épuisaient; or il n’y avait pas assez de plates-formes pour satisfaire la demande et, parmi celles en activité, un grand nombre étaient vétustes et/ou déclassées.

Il y eut donc un pic d’investissements parmi les compagnies de forage et, dans la foulée, une frénésie de nouvelles constructions – qui fit notamment la fortune des équipementiers comme National Oilwell Varco.

Les tarifs de location étaient élevés, et les perspectives de Rowan, Seadrill, Noble ou Transocean (pour ne citer qu’elles) étaient radieuses (Transocean cotait jusqu’à trente fois ses profits en 2006).

Tellement radieuses que ces compagnies réinvestissaient tout ce qu’elles gagnaient – sans bien sûr manquer de s’endetter jusqu’au cou – pour augmenter leurs capacités, et satisfaire une demande croyait-on insatiable.

L’heure était au peak oil, à l’invasion de l’Irak, et aux appétits gargantuesques de la Chine.

Mais la tendance s’est renversée en 2014 : tandis que ces nouvelles capacités arrivaient sur le marché, le prix du pétrole a été divisé par trois; les majors ont suspendu leurs investissements et la demande s’est brusquement rétractée.

En somme, la tempête parfaite (voir Une Chance Formidable).

Les tarifs de locations ont beau avoir diminué, de nombreux équipements restent inutilisés – quand certains sont cédés à prix dérisoire, ou tout bonnement envoyés à la casse, obligeant les compagnies à effacer sans broncher une partie parfois substantielle des actifs sur leurs bilans.

En marge de plusieurs faillites (comme celle de Paragon Offshore), les capitalisations boursières se sont effondrées : celle de Transocean a été divisée par cinq, celle de Seadrill par dix.

L’industrie du forage en mer requiert d’importants investissements de maintenance et de croissance (voir capex) pour satisfaire les exigences des clients. Neuve, une plate-forme coûte entre $400 millions et $1 milliard (pour les semi-submersibles de septième génération).

Ainsi, le profit cash effectivement redistribuable aux actionnaires (voir free cash-flow 101) est en réalité microscopique (si au moins il existe), malgré un généreux bénéfice comptable. Dans cette industrie comme dans d’autres (par exemple l’automobile), les comptes de résultat sont donc volontiers trompeurs (les investissements sont supérieurs aux amortissements et dépréciations).

Si les investissements dans les nouvelles capacités ne sont pas rentabilisés, les compagnies deviennent des machines à détruire de la valeur. Et même s’ils le sont, l’activité demeure à risque : un accident peut (sans mauvais jeu de mot) couler un business du jour ou lendemain (Transocean ne supporterait pas un deuxième Deepwater Horizon).

L’allocation du capital est traditionnellement maladroite chez les compagnies de forage, mais il est difficile de jeter la pierre aux managements : les dépenses en équipements sont colossales, le recours à l’endettement nécessaire, et la cyclicité extrême expose les bilans.

Certains opérateurs se distinguent par une gestion précautionneuse, des plates-formes spécialisées, et un sans-faute dans leur historique de sécurité/fiabilité. Il y a quelques mois, nous avions d’ailleurs acquis des obligations de l’une de ces compagnies à moins de la moitié du pair (pour un rendement spot de 14%).

Investir dans l’industrie via les actions ordinaires demande du flair, du courage, et de l’expertise. Impossible d’y aller sans une connaissance intime du marché, de ses dynamiques, et de la nature de chaque actif – à moins d’une situation vraiment exceptionnelle, où le risque de perte du capital est écarté; à date, nous n’en avons pas trouvé.

A la fin des années quatre-vingt, Loews – le conglomérat de la famille Tisch – acquiert une participation majoritaire dans Diamond Offshore. Les Tisch ont réduit les investissements au minimum, pour plutôt “milker” le business au maximum (en se reversant le maximum de profits via des dividendes).

Ainsi, Diamond sacrifiait sa croissance pour sauvegarder le rendement des actionnaires, tandis que les concurrents s’endettaient dangereusement pour financer la construction de nouveaux équipements – un pari de modestie qui s’est avéré gagnant.

Kristian Siem s’est lui spécialisé dans l’acquisition de plates-formes mises en arrêt prolongé par leurs opérateurs (faute d’activité, par exemple dans les périodes de stress sur le prix du pétrole).

Il attendait que ceux-ci soient en difficulté financière et rachetait lesdits équipements pour une bouchée de pain (à une fraction de leur valeur de reproduction), puis les remettait sur le marché lorsque la conjoncture s’améliorait.

Aujourd’hui, les compagnies de forage en mer se négocient en bourse à une fraction de leurs capitaux propres (un estimé conservateur de leur valeur de reproduction, mais pas de leur valeur liquidative) et parfois à une ou deux fois leurs cash-flows « normalisés » (avec toutes les réserves que cela comporte).

Si cette situation perdure et qu’apparaissent des signes de reprise, ce sera peut-être un (fertile) vivier d’opportunités.

P.S. : ce texte, comme tous nos contenus, n’est pas un conseil. C’est uniquement une opinion qui n’engage que son auteur, et rien de plus. Il est rappelé qu’investir en bourse comporte un risque de perte de capital.

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