[Aparté] Barrage Capital : Le Sens des Affaires

Le cinquième numéro des Apartés de L’investisseur Français est disponible ici. A l’honneur ce mois-ci : nos amis canadiens de Barrage Capital.

Car c’est très certainement formidable de composer à 40% par an — encore s’agit-il de pouvoir expliquer comment.

[…]

Méthode Barrage Capital

Le pitch idéal selon Barrage ?

Patrick : Un business avec une faible intensité capitalistique [NDLR : dont les investissements nécessaires au maintien de l’activité sont faibles], qui génère des tonnes de free cash flow qu’il peut réinvestir à un rendement satisfaisant, qui dispose d’un avantage concurrentiel impossible à répliquer dans l’activité où il opère, qui s’échange à une fraction de sa valeur comptable ou un multiple dérisoire de ses profits, qui rachète ses actions et qui est géré par une équipe compétente et intègre. Le fat pitch à la Barrage, le voilà.

Le Père Noël en somme ?

Patrick : Il passe plus souvent que tu ne le crois (rires).

Corrige-moi si je me trompe, mais ton fat pitch c’est du Warren Buffett tout craché non ?

Patrick : On n’a aucun problème à copier les meilleurs. Au contraire. Notre objectif n’est pas d’être génial, c’est d’être efficace.

Donnez-moi un exemple concret de « fat pitch » à la Barrage ?

Patrick : En 2010, MasterCard à douze fois les profits forward, quinze fois les profits courants.

Quinze fois les profits courants, tu appelles ça du hardcore value ?

Maxime : Ce que Patrick a oublié de te dire, c’est que chez MasterCard il y a 25% de croissance par an.

Si je comprends bien, c’est du GARP [NDLR : Growth At Reasonable Price] plutôt que du deep value…

Maxime : On laisse ce genre de classifications aux théoriciens du value investing. Que tu te concentres sur les actifs ou sur les cash-flows, ce que tu veux c’est payer largement moins que la valeur intrinsèque. A douze fois les profits forward, la croissance était quasiment gratuite. Et 25% de croissance chez une entreprise extraordinaire comme MasterCard, en position de duopole dans son industrie, c’est le genre de chose qui nous plaît beaucoup chez Barrage.

Rémy : Pour moi, le GARP c’est l’idée selon laquelle tu achètes une entreprise à un prix raisonnable, tu la gardes un certain temps et tu obtiens un rendement à peu près égal à celui de l’entreprise. Si ses retours sur capitaux sont de 15% par an, en payant le prix équitable tu feras du 15% par an toi aussi : disons que c’est le rendement de l’entreprise. A ce dernier, nous voulons ajouter le rendement d’escompte. Pour schématiser, si on achète l’entreprise à quinze fois les profits, c’est parce que nous estimons qu’elle vaut vingt-cinq fois ces profits. On fera alors un rendement lorsque l’écart prix/valeur se refermera. Ainsi ton rendement est double : les 15% du rendement de l’entreprise, et les 40% du rendement d’escompte.

Mathieu : On aime bien compter le cash. Ce genre de situations nous attire davantage que les dossiers comme Sears [NDLR : une des principales positions du portefeuille de L’Investisseur Français], où il faut quantifier des décotes sur actifs.

Bref, vous êtes concentrés sur les cash-flows, et vous misez sur une expansion du multiple de valorisation lorsque ce dernier est injustement déprimé…

Patrick : Nous essayons de rester intuitifs, et nous allons où se trouve la plus confortable marge de sécurité.

[…]

IBM : Une Opportunité Incomprise

Où investit Barrage Capital ces temps-ci ?

Patrick : IBM. On a 18% du fonds investis chez eux.

Parlez de conviction ! C’est Buffett qui a amené l’idée à Barrage ?

Patrick : On l’a acheté moins cher que Buffett. Mais on pense la même chose que lui de la position compétitive d’IBM.

Rémy : Il est aux premières loges pour la comprendre. Tu imagines le nombre de compagnies chez Berkshire dont l’infrastructure IT repose sur IBM ? Wells, Amex, Geico, Burlington…

Parlez-nous de cette position compétitive.

Mathieu : Une fois IBM installés, ils sont indétrônables. Les switching costs et le risque qu’implique un changement de fournisseur sont bien trop dissuasifs. Mettre en place les systèmes prend déjà des années… Les optimiser aussi… Les clients d’IBM sont complètement captifs. La simple formation du personnel à utiliser les systèmes prend déjà des mois.

Rémy : Il y a peu de temps, je discutais avec le directeur de l’IT d’une grande banque canadienne [NDLR : nom modéré à l’édition]. Il se plaignait des dysfonctionnements de son infrastructure IBM, mais il excluait parfaitement de changer de fournisseur.

Maxime : J’ai aussi vu ça de mes propres yeux chez une autre grande banque canadienne [NDLR : nom modéré à l’édition].

Serge : J’ai été témoin de la même chose dans une grande banque européenne [NDLR : nom modéré à l’édition].

Intéressant…

Mathieu : Les solutions IBM sont indéboulonnables. Les services de consulting peuvent tout à fait aller à la compétition, c’est vrai, mais l’entreprise qui possède une infrastructure IBM préférera naturellement solliciter les consultants de la maison en premier.

Maxime : Ils ont aussi une échelle inégalée. On entend souvent dire que la qualité des services fournis devenait déplorable. Il apparait que la délocalisation massive des compétences d’IBM vers l’Inde ne s’est pas faite sans dommages collatéraux…

Patrick : Il y aura toujours des gens pour se plaindre dans une multinationale de cette taille. Berkshire compose à 15% depuis des années, pourtant je suis sûr que si tu cherches, tu trouveras parmi les trois cent mille employés des mécontents et des déçus…

Rémy : C’est comme J.P. Morgan durant le scandale de la London Whale : il peut y avoir des dysfonctionnements et des critiques particulièrement violentes, mais il ne faut pas perdre de vue la big picture.

Je te prends au mot : la big picture chez IBM, c’est que le chiffre d’affaires est en baisse ininterrompue depuis dix trimestres…

Patrick : En top line peut-être, mais en bottom-line le profit par action ne cesse d’augmenter. IBM se sépare du hardware et des serveurs, activité où les marges sont moindres que le software et le consulting. Ils sacrifient du chiffre d’affaire pour optimiser les marges. Comme un bon assureur (rires).

Maxime : Le chiffre d’affaires n’a quasiment pas bougé depuis dix ans : c’est toujours de l’ordre de cent milliards, mais on est passé de 38% à 50% de marge brute ; les marges opérationnelles ont doublé et atteignent maintenant 20%.

Patrick : Le profit par action a été multiplié par trois sur la période. En tant qu’investisseur, ce qui nous intéresse c’est le profit par action, ce qui tombe dans notre poche.

La question, c’est vaut-il mieux $1 de profit sur $100 de ventes, ou $2 de profit sur $50 de ventes ?

Patrick : Exactement ! Le marché est myope : il est obnubilé par le top-line d’IBM, et il oublie que l’action cote à moins de dix fois les profits.

On est en plein dans le process de Barrage si je ne m’abuse… Franchise mondiale, avantage compétitif, free cash flows monstrueux, management opportuniste, rachats d’actions, marge de sécurité…

Rémy : Les gens ne nous croient pas quand on leur dit que le value investing, c’est toujours la même chose.

Patrick : Tu vois que le Père Noël existe (rires) !

A vrai dire, je n’ai pas vraiment besoin d’être convaincu des mérites d’IBM. En revanche, si je comprends bien que pour quelqu’un comme Buffett ce soit un investissement optimal pour faire travailler ses dizaines de milliards, je m’interroge de la pertinence du choix concernant Barrage Capital. Ne devriez-vous pas plutôt chercher à profiter de votre petite taille pour saisir de meilleures opportunités, du genre de celles où un institutionnel ou un gros de la taille de Berkshire ne peut pas aller ?

Patrick : Si tu peux faire du 25% par année sans prendre de risques, pourquoi t’embêter avec des situations spéciales ou exotiques ?

Présenté comme ça, c’est convainquant… Tu penses faire 25% par an avec IBM ?

Patrick : Sur le long-terme, oui. Je ne vois pas pourquoi IBM ne reviendrait pas coter à quinze fois ses profits, surtout avec le programme de rachats d’actions en cours. L’asymétrie risque/récompense est frappante.

Mathieu : Ils en ont racheté pour huit milliards au premier trimestre. 4% de la compagnie… En un trimestre !

Y a-t-il une chance qu’IBM renoue un jour avec la croissance top-line ?

Mathieu : Possible. Nous, on n’a pas besoin de ça. On a déjà nos quinze milliards de free cash flow par an, et on sait qu’IBM compte en redistribuer plus des quatre cinquièmes aux actionnaires.

Maxime : Pour répondre à ta question, oui c’est possible. Les meilleures divisions d’IBM sont en croissance. C’est léger, mais ça croit bel et bien.

Que pensez-vous du management ?

Mathieu : Je pense qu’ils sont très compétents. Je me souviens du livre de Lou Gerstner [NDLR : Who Says Elephants Can’t Dance]. Les cellulaires, l’internet, les serveurs : ils avaient tout vu ! Aujourd’hui ils voient d’autres choses, à commencer par le big data. Je pense qu’ils sont idéalement positionnés pour comprendre et anticiper les tendances qui se dessinent.

Maxime : Le big data, tout le monde a le mot à la bouche aujourd’hui, mais eux cela fait des années qu’ils en parlent… Ils ont été les premiers.

Mathieu : A côté de ça, j’apprécie qu’ils t’annoncent clairement ce qu’ils vont rendre des cash-flows aux actionnaires. Il n’y a pas de surprise avec IBM : c’est comme une machine.

[…]

P.S. : ce texte, comme tous nos contenus, n’est pas un conseil. C’est uniquement une opinion qui n’engage que son auteur, et rien de plus. Il est rappelé qu’investir en bourse comporte un risque de perte de capital.

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