Investir Comme Warren Buffett : Mode d’Emploi

Investir comme Warren Buffett : le sujet est difficile, car l’intéressé n’a cessé d’évoluer dans son style au fil des années et, par crainte de mauvaise publicité, n’a pas toujours tout dévoilé.

Soyons lucides : manier le capital comme l’oracle d’Omaha et président de Berkshire Hathaway ne s’improvise pas. On peut bien vouloir peindre comme Michel-Ange, composer comme Mozart ou écrire comme Shakespeare, il faudra plus qu’un article bien senti pour y parvenir, nonobstant l’ambition pédagogique de l’auteur ou le zèle à l’étude du lecteur.

Style de Milliardaire

Les méthodes du jeune Warren sont difficilement reproductibles, en particulier lorsqu’elles impliquent des arbitrages sophistiqués (les fameux “workouts“) ou de l’activisme – avec par exemple la restructuration de Dempster Mills et la liquidation de Sanborn Maps.

A ce titre, nous nous concentrerons ici sur le style d’investissement tel que Warren Buffett le pratique depuis vingt ans – un style de milliardaire qui produit une performance nécessairement moins spectaculaire qu’autrefois (on ne gère pas les centaines de milliards de Berkshire comme les quelques millions du Buffett Partnership), mais présente l’avantage d’être intuitif et imitable.

En effet, notre héros fît ses premières armes en parfait disciple de Benjamin Graham (père du value investing, et prodigieux auteur de The Intelligent Investor et Security Analysis), avant de mettre un peu d’eau dans son vin et, de son propre aveu, d’emprunter à Philip Fischer (l’auteur de Common Stocks & Uncommon Profits) une grille d’analyse moins mécanique et plus qualitative.

Comment investir comme Warren Buffett ? En travaillant selon les sept principes énoncés ci-dessous, soit une excellente base de départ pour s’inspirer du maître, et rationaliser la gestion de son patrimoine.

Mérites Intrinsèques

D’abord, se concentrer sur les mérites intrinsèques de l’actif convoité (par exemple une entreprise).

Acheter des actions d’une entreprise, c’est devenir propriétaire d’une partie de son capital, et par extension d’une partie des profits générés par ce dernier une fois mis au travail dans les opérations (le business) – comme nous l’expliquions dans Le Meilleur Business du Monde.

Ce qui nous intéresse, c’est donc la capacité du business à générer du cash et à nous en faire profiter, soit en nous le rendant sous forme de dividendes ou de rachats d’actions, soit en le réinvestissant à haut rendement (si possible) dans ses activités, afin d’accroître sa valeur intrinsèque et, à plus long-terme, sa valeur de marché.

Coca-Cola vendra-t-il plus de soda gazéifié en 2030 qu’il n’en vend en 2016 ? Visa (ou MasterCard) sera-t-il toujours le système de paiement électronique de référence ? Genfit parviendra-t-il enfin à sortir un profit ? Free aura-t-il fait triompher le bon sens, et conquis tout son marché ?

Raisonnons en capitaliste plutôt qu’en joueur de casino – en bâtisseur d’empire plutôt qu’en parieur, en investisseur plutôt qu’en spéculateur. Question : combien compte-t-on de ces derniers sur la liste des milliardaires ? Réponse : Aucun.

Investir comme Warren Buffett, premier principe : c’est un business qu’on possède, pas un ticket de loterie.

Cercle de Compétence

Une fois le décor planté, guère d’autre choix que de se retrousser les manches et mettre les mains dans le cambouis – il s’agit d’analyser le business, et par conséquent l’intérêt (la rentabilité) d’un éventuel investissement au capital de ce dernier.

A cette fin, notre article Analyse 101 vous sera peut-être d’un précieux secours.

Un actif productif (par exemple une entreprise) n’évolue pas miraculeusement, comme par enchantement, mais en fonction de ses fondamentaux : la qualité de son patrimoine, sa dynamique opérationnelle, ses facilités de financement, ses retours sur investissements, etc.

Par exemple, avant de se décider à investir dans un producteur de pétrole (opération audacieuse), mesurer la valeur (estimée) de ses réserves prouvées, son coût d’extraction moyen, son profit estimé selon divers scénarios de prix de vente (nous ne l’apprendrons à personne : le prix du baril fluctue), la qualité de son bilan (dans une industrie cyclique et intensive en capital, il faut être capable d’absorber plusieurs années de stress sans broncher) et le talent de son management (a-t-il survécu à plusieurs cycles, et créé de la valeur pour les actionnaires ?).

Avant d’investir dans un réseau social, projeter la croissance de la base de membres (plus facile à dire qu’à faire), le profit moyen généré pour chaque membre, la pertinence des initiatives futures pour doper ce profit par membre (idem), en estimant – à partir d’hypothèses excessivement prudentes –  leurs chances de succès.

Etc.

Etre prêt à travailler (un peu), et surtout ne pas craindre de ne rien comprendre. Aucun gestionnaire rationnel ne souhaite exposer son capital à des dynamiques qu’il ne maîtrise pas et dont il ignore tout. Le meilleur investisseur du monde le dit lui-même : 99% de ce qu’il étudie va dans la “too hard pile”.

Investir comme Warren Buffett, second principe : rester dans son cercle de compétence, et savoir dire non 99,99% du temps.

Péage sur un Pont

Après avoir compris la nature et la dynamique du business convoité, s’assurer qu’il sera susceptible d’avoir dans plusieurs années (idéalement plusieurs décennies) la même rentabilité – de produire pour ses propriétaires la même capacité bénéficiaire. Warren Buffett aime la prévisibilité, et vous aussi.

Ce qu’on recherche, c’est un business doté d’une capacité bénéficiaire éprouvée. Idéalement, tellement éprouvée que même un management inepte (il finira bien par s’en manifester un) ne parviendrait pas à l’entamer, même s’il se donnait du mal pour y arriver.

Pour reprendre le folklorique jargon de Warren, un business de qualité est un business que même un sandwich au jambon pourrait diriger.

Qu’est-ce qu’un business doté d’une capacité bénéficiaire éprouvée ? Par exemple un péage sur un pont (à condition bien sûr que le tarif ne soit pas régulé), Coca-Cola (dont les actionnaires encaissent un profit chaque fois qu’un de leurs sodas est consommé) ou Visa (chaque fois qu’une transaction à l’aide d’une de leurs cartes de paiement est effectuée, c’est à dire souvent).

Investir comme Warren Buffett, troisième principe : s’intéresser aux cash machines qui resteront des cash machines.

Avantage Compétitif

A long terme, une spectaculaire capacité bénéficiaire ne survit qu’à condition d’être adossée à un avantage concurrentiel durable – un infranchissable fossé (le fameux “moat“) qui sépare un business de ses concurrents, et lui permettra de maintenir des retours sur capitaux élevés.

Que vaut une capacité bénéficiaire si demain matin le premier concurrent venu peut la disputer ? Parce que l’avenir est imprévisible et le capitalisme impitoyable, il s’agit de confirmer (autant que possible) que notre business sera toujours en mesure de dominer son marché d’ici dix ans.

Attention, c’est beaucoup plus difficile qu’on ne le pense car, à force de chercher des avantages compétitifs, on finit par en voir partout, même (surtout) là où ils n’existent pas (les actionnaires de BlackBerry ou de Nokia en ont fait les frais).

En revanche, Wells Fargo aura sans doute le plus faible coût de dépôt de l’industrie bancaire, IBM la même rétention de ses clients, Coca-Cola le même mindshare, Visa le même réseau d’affiliés.

Investir comme Warren Buffett, quatrième principe : sélectionner un château fort (un business) protégé par une douve profonde, très profonde (l’avantage concurrentiel).

Bon Cheval, Bon Jockey

Warren Buffett n’investit que dans des entreprises supérieurement gérées, même lorsqu’elles évoluent dans des industries réputées difficile (comme l’assurance).

You never strike a good deal with a bad person. Souvenez-vous : le mandat d’un management est de faire prospérer le capital que lui confient les actionnaires. L’Oracle d’Omaha est un fervent admirateur des managers méritants, et il ne se prive pas de le rappeler dans ses lettres aux actionnaires.

Qu’est-ce qu’un bon management ? La question appelle sans doute un article complet (voire un livre entier, sinon une encyclopédie : The Outsiders de William Thorndike remplit la fonction d’une manière ludique et digeste) mais, pour résumer, c’est un management qui contrôle fanatiquement les coûts, garde son ego sous contrôle (difficile, surtout lorsque les affaires vont bien), communique franchement sur les difficultés rencontrées par le business, développe efficacement le patrimoine net de ses actionnaires, et aligne ses intérêts avec eux (par exemple en achetant eux-mêmes des actions, où en acceptant une large part de rémunération variable).

Un bon investisseur est un bon entrepreneur, et vice-versa : le métier des deux est d’allouer le capital, d’en assurer la préservation, et si possible d’obtenir un bon rendement sur ce dernier. Avec l’expérience, le premier saura reconnaître le second.

Investir comme Warren Buffett, cinquième principe : après avoir trouvé un bon cheval, vérifier qu’il est monté par le bon jockey – soit un management rationnel, talentueux (les deux ne vont toujours de pair), humble et déterminé.

Marqué en Soldes

Le secret d’un investissement intelligent (qui compresse à l’extrême le risque de perte du capital tout en promettant un bon rendement) est de payer un actif productif (le prix) bien moins qu’il ne vaut réellement (la valeur intrinsèque).

Exemples illustratifs : L’Investissement Parfait et Google en leur temps, possiblement Sears Holdings maintenant.

Price is what you pay, value is what you get. Warren Buffett est un radin, et il ne s’en cache pas. Sa biographie signée Alice Schroeder (The Snowball) regorge d’anecdotes désopilantes à ce sujet.

Il n’existe qu’un seul moyen d’obtenir un prix très bas, et c’est d’acheter ce que tout le monde vend fiévreusement. Acheteur net d’actions, si votre analyse est correcte et que vos faits sont justes  – vous avez valorisé le business, et vous êtes assuré une gigantesque marge de sécurité entre le prix payé et la valeur intrinsèque – un cours boursier déprimé sera une aubaine plutôt qu’une peine. Saurez-vous être décisif ?

Craintif quand la foule est cupide, cupide quand la foule est craintive : le tempérament rationnel et contrarien exigé dans de telles circonstances est hors-du-commun – et c’est justement la raison pour laquelle si peu d’investisseurs sont capables d’en faire preuve.

La peur est une réaction, le courage une décision. Personne n’a jamais dit que ce serait facile.

Investir comme Warren Buffett, sixième principe : ne jamais surpayer.

Warren Buffett : Patient et Concentré

Investir à long-terme, et capitaliser sur les meilleures opportunités (les plus criantes) plutôt que de se disperser dans un éventail d’investissements qui échappent à son cercle de compétence : c’est la marque de fabrique du maître (et des autres milliardaires de la liste Forbes).

La donne a bien sûr changé depuis que Berkshire pèse plus de $320 milliards de capitaux propres mais, on s’en doute bien, Warren ne s’est pas fait avec un portefeuille diversifié de trackers – plutôt avec un portefeuille concentré à 40% sur American Express lors du scandale de l’huile à salade.

Les opportunités d’une vie ne frappent pas à la porte : il faut aller les chercher, et souvent fouiller des années avant de finalement les débusquer. La plupart du temps – correction : 99,99% du temps – la meilleure chose à faire est de ne rien faire.

Investir comme Warren Buffett, septième principe : patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. Pour citer Charlie Munger, le vice-président de Berkshire :

Investing is where you find a few great companies and then sit on your ass.

La leçon se passera sans doute de traduction.

0 Commentaires

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

©2024 L'Investisseur Français

Nous contacter

Merci de nous envoyer votre message ici. Nous vous répondrons dans les plus brefs délais.

En cours d’envoi

Vous connecter avec vos identifiants

Vous avez oublié vos informations ?