Classique parmi les classiques, le biais cognitif de continuité fait oublier aux financiers (professionnels et particuliers) comme tout est cyclique, et comme rien n’est jamais acquis ni permanent — sauf le changement.
Impératif Institutionnel
En théorie, quand toutes les classes d’actifs sont chères (c’est le cas aujourd’hui), les circonstances et le bon sens commandent (fort logiquement) de redoubler d’attention et de prudence. En pratique, c’est d’autant plus difficile que “tout le monde” s’est habitué au contexte du moment, et capitalise sans trembler sur sa pérennité.
De toute façon, l’impératif institutionnel dicte une loi sans concession : ne rien faire n’est pas une option, car personne ne paierait un gérant pour n’obtenir de lui qu’attentisme et inaction.
Ce contexte du moment, puisque nous en parlons, c’est celui des taux bas (quasi nuls), autrement dit de l’argent gratuit. Il débute aux Etats-Unis en pleine apocalypse des subprimes (il faut d’urgence recapitaliser un système financier en pleine banqueroute), avant de — comme d’habitude — s’exporter partout ailleurs dans le monde avec un temps de retard (deux temps de retard concernant l’Europe).
La baisse des taux est cependant une tendance de long-terme, amorcée depuis déjà vingt-cinq ans — et personne ne sait si nous en avons atteint l’apex : c’est bien connu, le marché peut rester irrationnel plus longtemps que quiconque ne peut rester solvable.
Taux Sans Risque
Les taux au plancher dynamisent les valorisations de toutes les classes d’actifs, puisque les obligations souveraines à long-terme (dites “sans risque”) font office d’étalon contre lequel sont arbitrées toutes les décisions d’allocations du capital (comme nous l’expliquons dans Arbitrage 101).
Pour schématiser grossièrement : si le taux sans risque paie 6% (sa moyenne historique), on attendra de ses actions un rendement locatif d’au moins 10% (toujours grossièrement : le taux sans risque, plus une prime de risque de 4%), soit un P/E (rapport prix/bénéfices) de 10 à la cotation.
Si le taux sans risque paie 1% (comme aujourd’hui), on se satisfera pour ses actions d’un rendement de 5% (selon le même grossier calcul), soit un P/E de 20, soit grosso modo le prix du marché actions aujourd’hui. Coïncidence ?
Question : le marché va-t-il un jour se réveiller, et admettre qu’il n’est pas normal de payer un Etat pour que ce dernier lui emprunte du capital ? Avec un Bund échéance cinq ans qui paie un rendement négatif, l’investisseur paie l’Allemagne pour qu’elle lui emprunte son argent ! Imaginez un banquier qui se proposerait de vous payer pour que vous vouliez bien souscrire un crédit chez lui… Il finirait vite au chômage, ou à l’asile (sûrement aux deux).
Ceci étant dit, si d’aventure l’un de nos estimés lecteurs voulait bien nous payer pour nous prêter de l’argent, qu’il se manifeste promptement via le formulaire de contact : oui, nous voulons faire affaire avec lui !
Retour à la Moyenne
Supposons un scénario en apparence catastrophique – mais qui en réalité ne serait qu’un retour à la moyenne historique – et imaginons que la croissance mondiale redécolle, avec elle l’inflation (en période de croissance la masse monétaire en circulation augmente en volume comme en vélocité), et que les taux d’intérêt à long-terme (qui suivent les taux directeurs) remontent à 6% pour juguler cette dernière (on l’oublie parfois, mais le traditionnel mandat d’une banque centrale est justement de contenir l’inflation).
Ainsi, les obligations souveraines à long-terme (sans risque) paient 6% – et les dépôts bancaires seront également mieux rémunérés, puisqu’ils sont toujours plus ou moins alignés. Question : dans ce nouveau contexte, quel intérêt d’investir dans un bien immobilier pour 3% de rendement (comme en ce moment en France), ou dans Coca-Cola pour 5% de rendement locatif (comme en ce moment en bourse), soit un multiple de vingt fois les profits, ces derniers étant de plus en décroissance ?
Réponse : aucun !
Que les taux remontent, et toutes les classes d’actifs seraient immédiatement revalorisées à la baisse; celles de qualité moindre dévisseraient sévèrement, et les capitaux se précipiteraient vers les généreux taux sans risque (d’aucuns — nous par exemple — estiment qu’il est osé de qualifier de généreux un rendement de 6%, mais c’est un autre débat).
Cupide Quand la Foule est Craintive
Les marchés boursiers sont hauts par rapport à leurs moyennes historiques (exprimées en multiples de profits), ainsi qu’une fois rapportés à des produits intérieurs bruts qui ne croissent pas. Cette valorisation suppute une importante croissance future, et des taux qui restent bas. L’optimisme est de mise, mais rien n’est jamais acquis ni permanent — à l’exception du changement.
Les investisseurs vont-ils continuer de prêter leurs capitaux gratuitement (mieux : à payer pour les prêter) ? Un investisseur rationnel peut-il sans rire envisager que dure une telle configuration, nonobstant l’outrance faite à la logique et au bon sens ?
Cupides quand la foule est craintive, craintifs quand la foule est cupide : le portefeuille de l’IF exige des rendements locatifs d’au moins 15% (capables d’absorber une potentielle remontée des taux), demeure concentré à la moitié de son actif net sur deux entreprises qui bénéficieraient directement de cette remontée (l’une par l’expansion de sa marge d’intérêt nette, l’autre par une meilleure rémunération de son flottant) si d’aventure elle survenait, tandis que l’autre moitié est protégée par des actifs tangibles de première qualité, dont le prix de marché du moment sous-estime formidablement leur valeur réelle.
Bref, le portefeuille est triplement couvert — car c’est quand la marée se retire qu’on découvre qui nageait nu, et nous n’avons aucune envie d’en être.
P.S. : ce texte, comme tous nos contenus, n’est pas un conseil. C’est uniquement une opinion qui n’engage que son auteur, et rien de plus. Il est rappelé qu’investir en bourse comporte un risque de perte de capital.