Le Bon Grain et l’Ivraie

Hardi ! Sous l’impulsion de l’Etat — mauvais signe — actionnaire des deux parties, Technip s’est proposé d’acquérir CGG au prix de 8,30€ par action.

Bilan Précaire

Désossons la bête : parmi les capitaux propres, à peine 840 millions sont tangibles (4,70€ par action); les 2,460 milliards restants présentent une faible liquidité — car composés d’immobilisations spécifiques à l’activité de CGG, et d’autres écarts d’acquisitions.

Le bilan s’est dégradé au fil des derniers exercices, et souffre à présent d’une surcharge de dettes (2,56 milliards) dont le service coûte cher, trop cher. Après avoir enfreint ses covenants, le management est toutefois (habilement) parvenu à renégocier l’échéancier.

Bref, on navigue à vue. Que la capacité bénéficiaire continue de patiner, et les difficultés commodément mises au placard en ressortiront aussitôt.

Problème : telle que CGG la reporte, la dite capacité bénéficiaire est largement surgonflée, puisque les dépenses d’acquisition des bases de données géologiques et sismiques sont capitalisées au bilan comme intangibles.

Avec le décodeur : les dépenses cash nécessaires à la croissance se retrouvent à l’actif au lieu d’être amputées au compte de résultat. Le tour de passe-passe n’est pas sans rappeler le cas Peugeot, dont la zélée comptabilité capitalisait sans broncher les substantielles dépenses de recherche et développement – avec les résultats que l’on sait.

Dépenses d’Acquisitions

CGG reporte un EBITDAS (revenu pré-taxes, pré-intérêts, pré-dépréciation & amortissements, pré-rémunération des dirigeants en stock-options) de 1,14 milliards. En retraitant les dépenses d’acquisition, ne restent qu’environ 350 (!) millions d’EBTIDA.

En retranchant ensuite les investissements nécessaires au maintien de l’activité, les intérêts et les taxes, on découvre que CGG ne génère en réalité aucun cash — ce que l’étude du bilan, qui lui ne ment pas, avait déjà indiqué. Qu’y voit-on? Une dette qui augmente et une trésorerie qui diminue. En clair : l’entreprise ne crée aucune valeur.

A moins que le management ne parvienne à corriger le tir d’ici que les prochaines échéances de dette arrivent à maturité (2016), il faudra céder des actifs, émettre des actions ou renégocier (une nouvelle fois) avec les créanciers, qui sur le coup seront assurément moins compréhensifs — soit autant de scénarios létaux pour les actionnaires.

Ces trois dernières années, près d’un milliard d’euros ont été dépensés en acquisitions. Doit-on en faire crédit au management? Si on se fie à son historique de gestion, clairement pas. Est-il prudent de capitaliser ces opérations de croissance externe au bilan? Seulement si on considère qu’un tien vaut moins que deux tu l’auras.

Accessoirement, apprécions comme, malgré les performances insuffisantes de l’entreprise, ce même management se paie généreusement en stock-options — nonobstant l’effet dilutif.

CGG : Somme des Parties

Valorisons CGG en procédant à une (grossière) somme des parties :

(1) Equipements (Sercel) : la division — le joyau de la couronne ! — produit un profit pré-taxes pré-intérêts d’environ 350 millions par an. La profitabilité est élevée (les marges opérationnelles flirtent avec les 30%), l’activité nécessite peu d’investissements, l’échelle est inégalée (du moins pour l’instant) et la position compétitive privilégiée.

L’activité est cyclique (liée aux dépenses d’exploration de l’industrie pétrolière) mais en légère croissance. Assignons donc un (plutôt conservateur) multiple de dix à la capacité bénéficiaire «brute», soit 3,5 milliards d’euros.

(2) Services (GGR) : Le profit pré-taxes pré-intérêts normalisé oscille entre 150 et 250 millions par an (l’estimation est difficile, la faute aux récentes réorganisations). Comme pour Sercel, on devine l’activité cyclique. Puisque sans croissance, on assigne un multiple de sept à la capacité bénéficiaire pré-taxes (un rendement en EBITDA d’environ 15%, typiquement ce que paierait un acheteur sur le marché privé), soit 1,2 milliards.

(3) Acquisitions : exigeante en capital, l’activité n’a généré aucun profit ces trois dernières années. Prudents, nous la comptons pour zéro.

On retranche de la valeur du seul Sercel la dette nette, soit 2,5 milliards. Surprise : on obtient (à deux cent millions près) la capitalisation boursière de CGG avant que Technip ne fasse sa première offre.

Joyau de la Couronne

Qu’en déduire? Que le marché était plus conservateur que la comptabilité de l’entreprise : il n’avait d’yeux que pour la division équipements, et comptait les deux autres pour zéro.

A 4€ l’action (soit 800 millions de capitalisation boursière), on obtenait une décote sur le joyau de la couronne — tout le reste venait gratuitement. Au sein d’un portefeuille largement diversifié, l’opération faisait sens, nonobstant les deux risques évidents : un bas de cycle prolongé dans l’industrie du Oil&Gas, ainsi (et surtout) qu’une gestion qui persévère à détruire la valeur des actionnaires, en réinvestissant par exemple les généreux profits de Sercel dans des acquisitions improductives ou des projets déficitaires.

Dans un monde parfait, Technip séparerait le bon grain (Sercel) de l’ivraie (la division Acquisitions), et utiliserait les abondants cash-flows de ce premier pour procéder à des rachats d’actions massifs.

Aucun des auteurs de l’IF n’est actionnaire de CGG, ni ne compte le devenir.

P.S. : ce texte, comme tous nos contenus, n’est pas un conseil. C’est uniquement une opinion qui n’engage que son auteur, et rien de plus. Il est rappelé qu’investir en bourse comporte un risque de perte de capital.

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