L’industrie automobile est notoirement périlleuse : les marges y sont microscopiques, l’activité incurablement cyclique, les structures de coûts étouffantes et les leviers opérationnels démesurés — soit autant de couteaux sous la gorge avec lesquels les constructeurs n’ont d’autres choix que de composer. Exemple illustratif : PSA Peugeot Citroën, ou l’inarrêtable machine à brûler du cash — même en haut de cycle : un exploit !
Le bilan est surchargé en dettes, et la fâcheuse tendance du groupe à capitaliser ses coûts de R&D (l’artifice minimise les dépenses reportées au compte de résultat) prépare le terrain à la survenue d’une nouvelle mauvaise surprise. Après avoir atteint le point de rupture en 2012, la situation est devenue claire : soit PSA parvient à réaliser son objectif de 2% de marge nette en 2018, soit tout le monde est mort — les actionnaires en premier chef.
La tâche promet d’être ardue. On s’interroge sur la (l’ex?) volonté du groupe de partir à la conquête de la Chine — où Volkswagen et General Motors entretiennent de redoutables positions compétitives, échelles à l’appui — plutôt que de consolider l’Europe, marché sur lequel il occupe traditionnellement la deuxième place du podium.
La seule bonne nouvelle dans la débâcle, c’est Carlos Tavares : l’homme est lucide et talentueux — mais cela suffira-t-il?
Volkswagen, puisqu’on en parle, défend parfaitement bien sa pole position. De loin le plus profitable parmi ses pairs, le fabricant de Das Auto est dirigé par d’excellents allocateurs de capital, pragmatiques quand il s’agit de réduire les coûts par d’habiles économies d’échelles, décisifs lorsque les circonstances leur permettent d’acquérir des rivaux agonisants en bas de cycle.
La division financement est la première de sa classe, avec une rentabilité des capitaux propres à faire rougir les banques les mieux gérées. Le portefeuille de marques est remarquable et diversifié sur tous les segments. En haut de gamme, Audi et Porsche sont acycliques.
Le leadership en Allemagne est un formidable avantage concurrentiel : outre-Rhin, la coutume veut en effet qu’on commande son véhicule neuf plusieurs mois à l’avance (impensable aux Etats-Unis, où le client l’exige sur le champ). Les constructeurs — Volkswagen en tête — s’offrent donc le luxe de n’avoir à maintenir des inventaires qu’extrêmement réduits. Cette dernière particularité explique un besoin en fonds de roulement moindre et, mécaniquement, une génération de cash supérieure.
Attention, chez nos voisins l’action Volkswagen est l’investissement “bon père de famille” par excellence. De quoi inciter à la prudence…
De son côté, Daimler démontre exercice après exercice comme prestige et profits ne s’accordent pas nécessairement ensemble. Les difficultés s’additionnent : parce que ses véhicules sont vendus partout dans le monde mais à faibles volumes, les contraintes en termes de logistique et de production sont indémêlables. En parallèle, la concurrence s’est beaucoup accrue sur le segment luxe — BMW, Audi, Lexus, Infinity, Cadillac, Lincoln, etc.
L’entreprise survit à coups de refinancements réguliers — la stratégie de l’apnée — en dettes comme en émissions d’actions. Si les créanciers peuvent toujours espérer en tirer quelques points d’intérêts, le sort (peu réjouissant) de l’actionnaire historique est au mieux de stagner, au pire d’être sans cesse dilué.
Avec Ferrari et Maserati (élitistes, acycliques), Fiat dispose d’une excellente exposition au segment luxe — en plus d’une position compétitive privilégiée en Italie. Brillant, le CEO Sergio Marchionne a su profiter de la banqueroute de Chrysler pour réaliser l’acquisition transformatrice ultime : la plate-forme de production est depuis incroyablement plus efficiente. Parlez d’investir au son du canon ! Mais il n’a fait que gagner du temps… Que pèse Fiat-Chrysler face aux mastodontes de l’industrie ? Pas grand chose.
Fiat se distingue également par un marketing très intelligent : parce que ses voitures sont par défaut commercialisées avec toutes les options, le constructeur maximise les avantages de la production en série — tout en proposant à ses clients une offre très compétitive. Accessoirement, la Fiat 500 réalise ces temps-ci un sensationnel carton des deux côtés de l’Atlantique. Il y a deux ans, l’entreprise était valorisée en bourse au même multiple des ventes que Peugeot — sauf qu’elle était profitable, au contraire de PSA.
Après avoir fait banqueroute en 2008, General Motors — icône de la culture industrielle nord-américaine — a été massivement restructuré durant trois longues et laborieuses années. Si le patient était bel et bien en état de complète agonie, le traitement de choc l’aura effectivement ramené à la (pleine) vie. Tout fût remis à plat, les salaires renégociés, les sites de production consolidés, les inefficiences et absurdités d’hier implacablement éradiquées.
Le spectaculaire redressement est à mettre au crédit de Dan Akerson, le CEO récemment remplacé par l’énergique Mary Barra — adoubée par Warren Buffett himself. Aujourd’hui règne chez GM une fanatique culture du contrôle des coûts, soit tout l’inverse d’autrefois ! Un peu comme avec IBM, il aura fallu un puissant électrochoc pour que l’éléphant se mette enfin à danser.
Pour l’avenir, le deuxième constructeur mondial s’appuie sur un formidable réseau de distribution, et une enviable position compétitive en Chine — marché sur lequel il fût un pionnier, rendons-lui au moins cet hommage. Au bilan, une pléthore de crédits d’impôts et $20 milliards en net cash — un trésor de guerre qui offre une confortable amplitude pour faire face aux problèmes et autres bas de cycle, ainsi que la capacité de saisir d’éventuelles prochaines opportunités.
L’allocation du capital est jusqu’ici optimale, comme en témoignent les rachats d’actions auprès du gouvernement fédéral.
L’action GM cote à $35. La participation en Chine vaut $10 et on compte $6 de crédits d’impôts : on paie donc $20 pour tout le reste — une séduisante valorisation à quatre années de profits moyens.
Dans notre analyse, nous présentons d’ailleurs une stratégie d’investissement via les warrants encore plus intéressante qu’avec les actions ordinaires.
Ford — le traditionnel rival — est beaucoup plus endetté. Seul constructeur US à n’avoir pas fait faillite en 2008 (voilà qui en dit long sur les périls de l’activité automobile !), le groupe a été depuis habilement dirigé par Alan Mulally (également sur le départ) qui a su gérer la reprise et maintenir le navire à flot.
On s’attend à présent à voir son successeur profiter d’un vent porteur pour conduire le désendettement. Dans le cas contraire — si par exemple d’importants investissements de croissance étaient réalisés en haut de cycle — la suite des événements s’annonce difficile pour les actionnaires.