Outsiders à la Française

La performance opérationnelle d’Iliad achèvera de convaincre les sceptiques : en dix ans (de 2004 à 2013), les revenus pré-taxes pré-intérêts et les fonds propres ont été multipliés par onze.

Visionnaire et Pragmatique

Voici l’une des rares introductions en bourse ayant été profitables pour ceux qui y participèrent (+800% depuis la première cotation), avec pour signe distinctif un prospectus d’une extraordinaire clarté : le management y disait ce qu’il ferait, et aujourd’hui on voit qu’il fît précisément cela — et pas autre chose.

Une telle intégrité dans le (parfois) poussiéreux paysage du capitalisme français commande respect et admiration. Visionnaire, pragmatique et résolument orientée vers le long-terme, la gestion d’Iliad tranche spectaculairement avec celle des autres mastodontes du CAC40, endormis sur leurs systèmes et sur leurs rentes.

La marque de fabrique Free, c’est une politique commerciale (révolutionnaire à l’époque, maintenant copiée de tous) orientée vers le client (les tarifs les plus bas, le service le plus dévoué, les équipements les plus intuitifs : box, etc.), quand la concurrence trayait la vache sans égards ni scrupules.

Prise la main dans le sac, cette dernière a été contrainte de s’ajuster tant bien que mal, car son modèle d’affaires est moins souple. Free a en effet habilement su minimiser la quantité d’équipements nécessaires au bon fonctionnement de son réseau, et offrir ainsi de meilleurs tarifs — tout en s’assurant de meilleures marges.

Un exemple illustratif : en pourcentage du chiffre d’affaires, les dépenses générales et administratives d’Iliad représentent le tiers de celles d’Orange.

Investissements Conséquents

La concentration sur le long terme (l’empreinte des investisseurs ambitieux) transparaît dans la démarche de Xavier Niel. Il fallait à l’origine réaliser des investissements conséquents, et il n’a pas hésité à les faire, sacrifiant les cash-flows à court terme pour privilégier les retours sur investissement à dix ans.

Combien de managements peuvent-ils en dire autant ? Hélas pas assez. [A leur décharge, ils sont parfois otages d’une clique d’actionnaires majoritaires trop gourmands]

Non seulement la croissance de Free fût-elle (très) rentable, mais la seule activité haut débit génère aujourd’hui plus de 700 millions de profits cash. On s’émerveille à la vue des retours sur investissements pré-taxes supérieurs à 30%, et de l‘arbitrage intelligent du management, qui préfère employer son capital en surplus pour réinvestir à haut rendement plutôt que de payer un improductif dividende.

Parce qu’ils sont copropriétaires du business (et modestement payés), les intérêts des dirigeants sont parfaitement alignés avec ceux des actionnaires. Encore une (appréciable) rareté dans le paysage boursier français !

Free rencontre un retentissant succès depuis son débarquement dans la téléphonie mobile. Si l’activité génère aujourd’hui un free cash-flow négatif, c’est parce que de substantiels investissements nécessaires à la mise sur pied du réseau sont entrepris.

Objectifs Ambitieux

Mais l’EBITDA est positif en 2013, et la croissance du nombre de clients fera effet de levier opérationnel dans le temps. La poursuite de ventes croisées (entre abonnés fixes et mobiles) et l’augmentation du revenu moyen par abonné mobile (par exemple via des services à valeur ajoutée type VOD, etc.) sont autant de call-options. En la matière, le curriculum du management est une caution rassurante.

Depuis l’épisode T- Mobile, on sait le groupe ouvert aux acquisitions d’opérateurs étrangers. Qu’Iliad veuille reproduire la stratégie mise en œuvre en France pour s’imposer sur d’autres marchés n’étonne guère, à fortiori si l’acquisition est intelligemment financée (on pense par exemple à un swap d’actions pour acquérir un opérateur plus modestement valorisé).

Bref, les opportunités de croissance sont intactes, et le talent de Xavier Niel sans cesse sublimé par l’expérience au fur et à mesure que son empire grandit.

Les risques existent eux aussi. A la volée, les premiers auxquels on pense sont une régulation européenne trop contraignante, une concurrence qui ne désarme pas (au contraire), et une moindre rentabilité des investissements futurs.

La valeur d’entreprise (capitalisation boursière plus dette nette) est d’environ 12,7 milliards, soit vingt fois le free cash-flow 2013 de l’activité haut débit. A priori, le marché suppose donc une croissance significative de la capacité bénéficiaire consolidée du groupe.

Considérant que l’activité haut débit est mature (à croissance lente), c’est donc de la profitabilité de l’activité mobile qu’on attend des étincelles. Sera-t-elle au rendez-vous ? Personne — pas même Xavier Niel — ne le sait.

Valorisation Equitable

Difficile donc d’émettre un jugement définitif et informé, même si le groupe n’hésite pas à communiquer ses (ambitieux) objectifs — son historique prouve qu’ils sont souvent atteints. En supposant que (les hypothèses sont les nôtres) :

(1) Le marché mobile français poursuive sa croissance et atteigne quatre-vingt millions d’abonnements en 2019;

(2) Iliad capture effectivement 25% du marché (soit vingt millions d’abonnés);

(3) Une modeste expansion du revenu moyen par abonné mobile (de 13,5€ à 15€);

(4) Le revenu moyen par abonné haut débit se maintienne à 36€, avec un nombre d’abonnés qui progresse pour atteindre six millions;

On arrive à un chiffre d’affaires 2019 de 6,2 milliards. Soit, puisque le groupe vise une marge d’EBITDA supérieure à 40% à cette date, un EBITDA de 2,48 milliards.

Les observations passées sur l’activité haut débit enseignent que le capex de maintenance est typiquement inférieur à 10% du chiffre d’affaires. En prenant une hypothèse de 9%, on trouve alors un cash-flow pré-taxes pré-intérêts (EBITDA – Capex) d’environ 1,9 milliard.

En appliquant un multiple de sept à ce cash-flow pré-taxes pré-intérêts de 2019 (soit un multiple d’environ treize en valeur d’aujourd’hui, correspondant à celui d’une belle entreprise en croissance, et très nettement au-dessus du secteur télécom en Europe), nous obtenons une valorisation de 13,3 milliards d’euros — à peine plus que la valeur d’entreprise actuelle. En appliquant un multiple de huit, 15,2 milliards d’euros.

En deux mots : l’upside n’est guère spectaculaire, même si le groupe remplissait tous ses objectifs. Et si d’aventure ces derniers n’étaient pas atteints, le risque de perte du capital serait tout à fait substantiel.

La marge de sécurité est (selon nous) inexistante. Malgré son indiscutable qualité (et la maestria de son fondateur et de son équipe), l’entreprise n’est donc (pour le moment) pas investissable pour des dilettantes dans notre genre.

D’ailleurs, ces derniers temps, Xavier Niel était lui-même vendeur de l’action.

P.S. : ce texte, comme tous nos contenus, n’est pas un conseil. C’est uniquement une opinion qui n’engage que son auteur, et rien de plus. Il est rappelé qu’investir en bourse comporte un risque de perte de capital.

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