Un investissement revient à faire un crédit avec son argent : on le met à disposition d’un tiers (un état ou une entreprise) ou de soi-même (un actif immobilier) en échange d’un rendement. Il s’agit donc d’un arbitrage dans l’utilisation de son capital.
Taux d’Intérêt
Le taux d’intérêt à long-terme de la dette souveraine (qui rémunère le crédit fait à l’Etat) est dit taux sans risque — sachant qu’en pratique le Trésor est tout-puissant, puisqu’il dispose du droit de vie ou de mort sur l’économie. Dans la galaxie des marchés financiers, ce taux sans risque est le noyau autour duquel gravite le prix de tous les actifs.
Pourquoi ? Car si on choisit d’accorder un crédit, on réalise toujours un arbitrage entre la sécurité du taux sans risque (dont la moyenne historique oscille autour de 6%) et l’attractivité de l’investissement alternatif étudié. Plus ce dernier est aventureux, plus large sera la prime de risque qu’on se devra d’exiger.
Cet arbitrage s’applique à tous les actifs, y compris immobiliers. Dans les années 90, en France, leurs prix étaient très bas — mais les taux d’intérêts étaient à 10%. Vingt-cinq ans plus tard, les taux ont été (grosso modo) divisés par dix, quand le prix de l’immobilier a lui été (grosso modo) multiplié par dix. Coïncidence ?
Quand les obligations d’Etat à long-terme paient 15% par an, les investisseurs sont prêts à payer cher, très cher pour avoir le privilège d’en détenir. De leur côté, l’immobilier et les autres actifs financiers perdent de leur attrait : non seulement sont-ils en moyenne deux à trois fois moins rentables, mais en plus sont-ils davantage risqués !
A ce titre, des taux à long-terme élevés sont le cauchemar des entreprises : pour être attractives sur le marché du crédit, les obligations corporate (supposées risquées) doivent payer plus que les obligations d’Etat (supposées sans risques). Les charges d’intérêt supportées sont alors quasi-usurières, les capacités d’emprunt symétriquement amputées, le financement de la croissance anesthésié.
Création de Valeur
Une entreprise qui emprunte à 15% par an doit être certaine de pouvoir réinvestir ce capital à un rendement plus élevé — mais tout le monde n’est pas Nike, IBM, ou Moody’s. Il ne viendrait (espérons-le) pas à l’idée d’une entreprise dont les retours sur capitaux sont de 10% de s’endetter à 15%…
Parallèlement, et puisque l’entreprise ne peut plus profiter du même levier, ses actionnaires souffrent eux aussi : les voici moins rémunérés sur leurs capitaux propres. Les actions, justement, voient leurs valorisations compressées au fur et à mesure que les taux d’intérêts augmentent.
Si le taux sans risque est à 10%, le P/E moyen d’une action “sûre” devrait (approximativement) osciller autour de 8 — ou 12,5%, soit le taux sans risque plus 2,5% de prime de risque.
Seule une importante (et assurée) croissance pourrait justifier un P/E plus élevé. Ainsi, le prix des actions d’entreprises matures à croissance modérée serait fortement impacté par une hausse des taux. Quant aux prix des actions d’entreprises déficitaires (qui de nos jours — dans un contexte de taux au plancher — flirtent fréquemment avec un multiple de vingt fois les profits “hypothétiques”), n’en parlons même pas : c’est un bain de sang qui s’annonce.
A terme, c’est le marché qui fixe les taux d’intérêts — mais pas tout à fait librement : il est fortement influencé par les taux directeurs de la banque centrale.
Des taux directeurs bas (soit des dépôts à la banque centrale peu ou pas rémunérés) incitent les prêteurs à stimuler l’économie : typiquement, le régulateur commande à l’argent de servir au crédit. A l’inverse, l’objectif de taux directeurs élevés est de limiter l’inflation : le régulateur restreint la circulation de l’argent grâce à une rémunération attractive des dépôts placés à la banque centrale.
Arbitrage Préalable
Chez L’Investisseur Français, le contexte de taux d’intérêts sert à justifier chaque décision d’allocation du capital. Parce que l’avenir est imprévisible, nos calculs sont intuitifs — mieux vaut être approximativement dans le vrai que précisément dans le faux — et se concentrent sur la marge de sécurité de l’investissement.
Par exemple, en achetant l’action Bank of America à un quart de sa book value (un bon proxy de sa valeur liquidative), et sachant qu’on pouvait confortablement projeter un rendement de 10% sur les capitaux propres, on obtenait un rendement locatif de 40%.
Rapporté à la moyenne historique du taux sans risque (6%), notre investissement était presque sept fois plus rentable — de quoi largement justifier le risque, même si ce dernier était déjà minimal : après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on peut acquérir la première banque de détail américaine à une fraction de sa valeur liquidative.
Si par un malheureux concours de circonstances Bank of America ne venait à gagner “que” 5% sur ses capitaux propres, notre rendement locatif aurait été de 20% — soit un rendement plus de trois fois supérieur au taux sans risque : l’opération demeurait intéressante. Et si d’aventure BofA gagnait 15% sur ses capitaux propres (sa performance “moyenne”)… Beati possidentes !
Marge de sécurité, arbitrage raisonné et vue à long-terme : tout n’est jamais question que de bon sens. Mais qui cela surprendra-t-il encore ?
P.S. : ce texte, comme tous nos contenus, n’est pas un conseil. C’est uniquement une opinion qui n’engage que son auteur, et rien de plus. Il est rappelé qu’investir en bourse comporte un risque de perte de capital.