L’Argent des Autres

Le plus surprenant n’est pas qu’on puisse toujours trouver des joueurs de flûte pour en faire des piles et y mettre le feu, mais plutôt qu’un flux aussi ininterrompu de candidats puisse continuer de se bousculer pour en rajouter sur le brasier.

Business Model

Le business model d’une biotech (le mot est dans l’air du temps) ne diffère en rien de celui d’une jeune pharma : il s’agit de lever du capital (via une émission de dettes ou d’actions) afin de financer un laborieux travail de recherche et développement qui pourrait un jour aboutir à la découverte d’une molécule potentiellement commercialisable (noter le double usage du conditionnel).

Si l’emploi de ce dernier est de rigueur, c’est parce qu’en plus d’une R&D qui échoue plus souvent qu’elle n’aboutit, il faut supporter un long, exigeant et onéreux processus d’homologation, lui-même prélude d’un non moins substantiel coût d’amorçage si d’aventure la commercialisation est autorisée.

Typiquement, la mise sur le marché d’un nouveau médicament demande entre cinq et dix ans — cinq ou dix ans durant lesquels les actionnaires doivent financer à perte et de leur poche les équipes de chercheurs et les essais cliniques. Si la biotech en question compte parmi son personnel tout un bataillon d’experts en marketing et relations publiques, c’est aussi leurs salaires qu’il faut allonger (et c’est bien sûr l’argent des actionnaires qui y passe).

Parfois, un partenaire vient prêter main forte — comme GlaxoSmithKline, leader mondial dans le traitement des maladies respiratoires, supporte par exemple Theravance BioPharma (un spin-off au demeurant fort intéressant) dans ses efforts de développement du Vibativ, un antibiotique spécialement conçu pour combattre les infections pulmonaires contractées en milieu hospitalier, souvent fatales au patient vulnérable qui les contracte.

L’intérêt d’une telle association, c’est que le partenaire (GSK) met à disposition de la junior un trésor de guerre financier et une puissance de frappe commerciale sans commune mesure. En échange de financements, il demandera une part des profits (si profits il y a) une fois le médicament commercialisé (si commercialisation il y a).

Pour les actionnaires de Theravance, un tel soutien est un gage implicite que leur entreprise ne se financera (a priori) pas davantage par de dilutives émissions d’actions pendant quelques années (en l’occurrence deux). Accessoirement, le vote de confiance d’une major rassure quant à la viabilité des projets de recherche entrepris par la junior.

Call-Option

Pour que la séduisante call-option se réalise, il faut (1) un processus de recherche et d’homologation qui aboutit favorablement; (2) une parfaite qualité d’exécution, essentiellement au niveau de contrôle des coûts; (3) un potentiel de marché adéquat. Qu’on se le dise : embûches et imprévus ne manqueront pas à l’appel.

Parfois, le processus aboutit avec succès mais le potentiel de marché était surestimé, et l’on découvre (accablé) que les ventes ne suffisent pas à rembourser la montagne de capital engloutie durant les cinq ou dix années précédentes. On pensait investir, mais non — c’était bien une pile d’OPM (Other People’s Money) qui brûlait.

Bref, on est toujours dans le spéculatif — dans le pari. Ceci étant dit, assez de théorie, passons plutôt au concret : comment investir (intelligemment) dans une pharma junior (a.k.a une biotech), et comment gagner de l’argent avec?

Premier point à vérifier : la capacité d’autofinancement. Nous voulons que la compagnie ait les ressources nécessaires pour tenir plusieurs années sans faire appel au marché actions, car il va sans dire qu’en tant qu’actionnaire (= propriétaire du business), nous n’avons aucune envie de voir notre participation diluée (= nos droits aux éventuels profits futurs fondre comme neige au soleil).

Deuxième point à vérifier : le pipeline. Nous n’arriverons pas au tout début (quand tout est incertain), mais plutôt à la fin, après que différents projets (notez le pluriel) soient arrivés en phase trois (celle des essais cliniques). Reste ensuite à se faire une idée du potentiel de marché et de la probabilité d’homologation… Sans être un spécialiste confirmé de la pharmacie et un fin connaisseur du terrain et de la concurrence (si le filon est bon, elle non plus ne manquera pas à l’appel), l’évaluation promet d’être imparfaite (euphémisme).

Troisième point à vérifier : les cash-flows. Au lieu d’investir dans (ou de spéculer sur) un ou plusieurs projets de recherche, l’idéal est d’opter pour une compagnie qui génère déjà des cash-flows avec des molécules commercialisées, et qui utilise ces premiers pour autofinancer un pipeline généreusement garni de projets en phase trois.

Quatrième point à vérifier : le management. On demandera une équipe d’exception, car nous n’avons bien sûr aucune envie de confier nos économies durement acquises à des incapables ou des bonimenteurs. Nous voulons (1) des gens expérimentés; (2) avec un palmarès établi dans la recherche, l’homologation et la commercialisation de molécules innovantes; (3) précautionneux, même obsédés par le contrôle des coûts et la chasse au gaspi (après tout, c’est de notre capital qu’il s’agit); (4) qui achètent des actions de leur poche (qui ont donc leurs intérêts alignés avec les nôtres), plutôt que de déployer des trésors de persuasion pour au contraire en vendre toujours plus au marché (comme chez Genfit).

Allocation du Capital

Trop beau pour être vrai? Voir Furiex, dirigée par un authentique champion (Fred Eshelman, ancien de PPDI), où les (prévisibles) cash-flows du Nessina servent à financer de prometteurs projets de recherche en phase trois, où le management (Eshelman en premier chef) rachète toutes les actions qui traînent, et où n’existe pas de service marketing. Chez Furiex, on bosse : on fait de la recherche plutôt que de jouer de la flûte.

Genfit, puisqu’on en parle, est le contre-exemple parfait : aucun revenu (la compagnie est une coquille vide, sans cash-flow ni aucun brevet à monétiser), des émissions d’actions permanentes et un management qui n’en achète pas (d’actions). C’est même tout l’inverse : avec quel zèle en vend-il au marché ! Une division entière de l’entreprise est dédiée aux relations publiques (d’aucuns s’amusent à plaisanter qu’elle emploie plus de monde que les équipes de recherche).

Pas de doute : l’argent des autres, c’est merveilleux.

Cinquième point à vérifier : la marge de sécurité. Quand nous présentions Furiex, la compagnie cotait dans un premier temps sous sa trésorerie nette, et dans un second temps nettement sous la valeur des royalties de Nessina au Japon — sachant que le médicament allait être homologué aux Etats-Unis (un marché bien plus large) et que d’autres molécules prometteuses étaient proches de l’homologation, le risque était clairement compressé à l’extrême.

Finalement, investir dans une biotech (ou une pharma junior, peu importe comme on la nomme) c’est faire du venture capital — pour un financier, certainement l’activité la plus risquée — encore plus audacieux que le venture capital traditionnel. N’en faisons pas mystère : pour nous à l’IF, le venture capital est une oeuvre de charité – certainement pas une méthode d’investissement sûre (qui garantit la préservation du principal) à long terme.

Mais à chaque paroisse ses cantiques : certains aiment acheter les promesses (qui n’engagent jamais que ceux qui les croient), quand d’autres (nous par exemple) préférons acheter de vingt à cent milliards de patrimoine foncier et commercial (noter les confortables hypothèses de valorisation) pour moins de quatre milliards, comme chez Sears Holdings.

Il faut choisir son camp. Et surtout, il faut un peu de bon sens paysan.

P.S. : ce texte, comme tous nos contenus, n’est pas un conseil. C’est uniquement une opinion qui n’engage que son auteur, et rien de plus. Il est rappelé qu’investir en bourse comporte un risque de perte de capital.

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